Jusqu'à une période récente, les étudiants qui ne maîtrisaient pas la langue allemande étaient limités dans leurs études de musicologie. Cela démontre qu'à son origine, cette discipline était profondément eurocentrée. "La musicologie étudie les formes, les fonctions, les signifiés des phénomènes musicaux dans le cadre des différentes cultures – qu’elles soient, temporellement ou géographiquement, proches ou éloignées des nôtres. Son principal domaine de recherche est la musique européenne du Moyen Âge à nos jours." (UNI-FRIBOURG). Cependant, si nous considérons la sémantique du mot et l’universalisation de la discipline depuis sa création, rien n’indique que la connaissance de la langue allemande soit une exigence fondamentale pour son étude, ni que son objectif principal doive être spécifiquement "la musique européenne du Moyen Âge à nos jours".
De plus, il existe une contradiction dans la définition de ce que devrait être la musicologie. Alors qu’elle tente d’englober tous les segments extra-européens "temporellement ou géographiquement", elle délimite simultanément son champ d’étude à "la musique européenne du Moyen Âge à nos jours". Une telle affirmation est aussi absurde que de dire que les mathématiques ne devraient étudier que "les mathématiques européennes du Moyen Âge à nos jours". Cette perspective dogmatique et déterministe reflète une prétention eurocentriste.
Concernant la communauté francophone, la musicologie n’a été officiellement établie comme discipline universitaire qu’en 1951, à Paris. Dès son origine, elle a eu tendance à s’entremêler avec des éléments d’autres sciences pour structurer sa propre méthodologie, en particulier l’histoire et la philologie, car elle ne devenait une science qu’en formulant des hypothèses à travers ces disciplines sous-jacentes.
En dehors de la méthodologie, il n’existait pas de systèmes établissant une base théorique solide, puisque l’histoire de la musique, dont elle dépendait, était fondée sur des fragments de musique de l’Antiquité, des biographies de compositeurs célèbres et des mouvements musicaux bien documentés. En somme, ce sont les fragments d’anciens textes, traités et biographies qui forment le socle de la musicologie. Un bon exemple est Charles Burney et son "Voyage musical à travers les Lumières européennes". Bien que critiquée à son époque par les universitaires anglais comme une vulgarisation (Burney n’a pas obtenu l’approbation académique pour sa publication), cette œuvre est devenue, à la fin du XXe siècle, une source précieuse pour comprendre la musique préclassique dans les cours européennes du XVIIIe siècle.
Après cette première phase de la musicologie, des spécialisations sont apparues, telles que les études sur des compositeurs méconnus (notamment de l’époque baroque), les courants musicaux, les écoles d’Europe de l’Est et leurs compositeurs (comme Jan Dismas Zelenka), ainsi que les mécènes, écoles et phénomènes musicaux tels que la Camerata Fiorentina de Giovanni Bardi.
De nouvelles pratiques de recherche remettent en question la structure de base de cette discipline relativement récente, qui doit adopter de nouvelles méthodologies pour continuer à exister, tout comme la linguistique l’a fait avec la sémiologie. La musicologie est donc en pleine transformation.
Quels sont les facteurs ayant conduit à ces changements ?
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Les traductions américaines des traités européens ont permis l’accès aux œuvres historiques des théoriciens germaniques et d’autres pays. Ainsi, la connaissance de la langue allemande a cessé d’être une exigence essentielle, non seulement pour les Nord-Américains mais aussi pour tous les pays maîtrisant l’anglais.
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L’exigence d’études théoriques avancées dans les grandes écoles de musique a commencé à nécessiter, en plus de la connaissance de l’évolution des formes musicales, une méthodologie scientifique, alignant ainsi les études de musicologie sur les recherches universitaires.
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L’émergence de l’ethnomusicologie a intégré de nouvelles méthodologies, notamment pour l’étude de systèmes musicaux différents des normes européennes, nécessitant une adaptation des études par l’usage de nouvelles symboliques, nomenclatures et systèmes de pensée.
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Le postulat de l’ethnométhodologie a remis en question l’universalité des théories traditionnelles, donnant naissance à une nouvelle philosophie sur la manière d’encadrer la musicologie et, si nécessaire, sur l’appellation à lui attribuer. Les Européens, de manière péjorative, ont commencé à différencier la musicologie de la "musicographie" et des "musicographes", considérant ces derniers comme une imposture par rapport aux standards universitaires européens.
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L’essor des études interdisciplinaires a rompu avec la nécessité d’englober un large éventail de connaissances issues d’autres sciences pour construire des théories sur la musicologie. La discipline dite "mammouth", qui incluait autrefois la philosophie, l’histoire, la sociologie et la philologie, a commencé à entrer en conflit méthodologique avec ces disciplines, révélant sa difficulté à se maintenir comme science indépendante. D’autres nouvelles disciplines en sciences humaines ont rencontré des défis similaires.
Pour ces raisons, l’étude de la musicologie repose actuellement sur des prémisses moins restrictives, respectant uniquement les normes académiques en matière de structure, de formulation des énoncés et de rédaction scientifique.
Avec l’émergence intellectuelle de nouveaux peuples et de leurs histoires socio-culturelles, les intérêts se sont déplacés au-delà de la musique historique européenne. Tout comme l’anthropologie s’est diversifiée en plusieurs spécialisations (anthropologie religieuse, anthropologie physique, anthropologie médicale, anthropologie post-culturaliste, anthropologie du sport, etc.), la musicologie se trouve à la croisée des chemins entre l’ethnomusicologie, la sociologie de la musique et la théorie avancée de la musique. Persister dans la voie traditionnelle semble obsolète et ne se justifie que par les positions politiques occupées par les professeurs universitaires.
Si cette structure académique est une réalité intrinsèque des bureaucraties universitaires, elle ne devrait en aucun cas être un dogme, ni un critère absolu de validation intellectuelle dans le milieu académique et professionnel.